Que pensez-vous de cette citation ? : « L'objectivité résiduelle est ce qui résiste au balayage de l'infinie variation des points de vue constitués sur elle.». Si vous êtes impressionné-e, il est temps de parler de l'effet « gourou », biais cognitif qui consiste à associer intuitivement des phrases complexes à une probabilité plus élevée de vérité, pour peu qu'elles proviennent d'une source considérée comme une autorité intellectuelle. Avant d'aller plus loin, je vous conseille d'aller vérifier la source de la citation juste ici.

Il était une fois … aux États-Unis

Des résidents américains ont été testés par des psychologues, via 4 études, afin de comprendre pourquoi certaines personnes sont plus tentées que d'autres à déceler une profondeur derrière des phrases creuses, ce que les chercheurs appellent sans détour : « Bullshit ». Les psychologues ont présenté aux participants des phrases cohérentes linguistiquement, mais composées de mots hasardeux, vagues et d'apparence intellectuelle, et leur ont demandé d'évaluer la profondeur des phrases. Les résultats indiquaient que la réceptivité positive aux phrases creuses étaient liées à des capacités cognitives plus modestes (notamment verbales), à un mode de pensée plus intuitif qu'analytique, à une tendance à la croyance en une religion ou au paranormal, et à la réceptivité à des croyances aux fondements peu avérés (2).

Oui mais comment ça se passe ?

Cet a priori positif pour les phrases abstraites peut paraître paradoxal : supposons que vous demandiez l'heure à votre amie, et qu'au lieu de vous répondre : « Il est 18h », elle réponde : « Pars de 20h, tu y enlèves 3h avant d'y ajouter 1h », auriez vous un a priori positif pour cette réponse abstraite ? Les deux types de réponse ont des résultats identiques (sauf si vous n'aimez pas les maths), mais dans le second cas, la réponse impose un calcul et un effort cognitif additionnel que tout le monde trouverait superflu et vraiment inutile vu la question.

Seulement la différence entre donner l'heure et écrire un essai de philosophie, c'est que la position d'une philosophe ou d'un scientifique génère un effet d'autorité sur l'auditeur, contrairement au fait de donner l'heure. Or c'est cette position d'autorité qui pour certaines personnes justifie l'effort cognitif demandé : vu les connaissances de l'auteur de cette phrase abstraite, il y a intérêt à faire l'effort de la comprendre, et si la phrase est abstraite, ça doit être parce que le sujet est complexe !

Cette confiance envers l'autorité est la raison pour laquelle les enfants croient les adultes sans forcément comprendre tout ce qui leur est dit, et qu'ils justifient leurs croyances par un recours à l'autorité : « c'est la maîtresse qui l'a dit ! ». Peu de confiance envers la source générerait donc une interprétation négative : « L'auteur n'avait aucune raison d'être aussi flou !», alors qu'une confiance importante générerait une interprétation positive : « La pensée est trop profonde pour être expliquée autrement ».

On remarque alors un effet boule de neige qui pointe son nez : si j'interprète positivement une phrase abstraite parce que je fais confiance à l'autorité de la personne qui la prononce, alors cette interprétation positive risque d'augmenter la valeur que j'accorde à la personne, ce qui pourrait donc me mener à réinterpréter positivement une nouvelle phrase que je ne comprendrais pas de cette même personne, et ainsi de suite, avec pour issue finale : je finirais par accorder une autorité intellectuelle à une personne pour la simple raison que je n'ai jamais vraiment compris ce qu'elle racontait, mais que cette incompréhension m'impressionnait.

On voit donc bien que le principal enjeu réside dans la méthode d'identification des sources auxquelles nous pouvons ou non accorder un certain degré de confiance.

« L'effet gourou » décrit la tendance à adhérer à des phrases vagues et peu compréhensibles, pour peu que nous accordions une autorité envers la personne qui prononce la phrase.
Cet effet se retrouve particulièrement chez les personnes qui adhèrent déjà à des croyances aux fondements fragiles.

Ce qu'on vous conseille :

  • Soyons sceptiques, et n'oublions pas que la science n'est pas une affaire d'autorité, mais de méthode.