Oscar Wilde disait : « Quand les gens sont de mon avis, j'ai toujours le sentiment de m'être trompé », et une équipe de mathématiciens français et australiens lui a sans doute donné raison ! Ces chercheurs ont découvert un paradoxe bien étrange : plus grand est le nombre de personnes d'accord, plus grande est la probabilité que ces personnes se trompent. Et vous allez voir qu'ils ne sont pas les seuls à s'être méfiés de l'unanimité...
Il était une fois… en Israël.
Et il y a très longtemps, à l'époque où les décisions judiciaires étaient prises par 23 juges formant le tribunal Sanhédrin. Le droit pénal Talmudique avait alors ceci d'intéressant que pour qu'une condamnation soit prononcée, une courte majorité était suffisante, mais si les 23 juges prononçaient une condamnation à l'unanimité, alors l'accusé était... libéré ! Le sociologue Christian Morel explique qu'« aux yeux des sages rabbins, l'unanimité est le signe qu'il n'y a pas eu véritablement de débat. La décision est à ce point suspecte qu'elle doit être sanctionnée par l'acquittement du coupable. ».
Les rabbins avaient l'intuition que plus grand est le nombre de personnes interrogées dans une affaire, plus grand est censé être le nombre d'avis divergents, et donc plus basse la probabilité d'unanimité. Comme le dit le proverbe latin : « Quot capita, tot sententiae » (autant de têtes, autant de sentiments).
Oui mais comment ça se passe ?
Pourtant, intuitivement, nous serions portés à penser que si beaucoup de personnes arrivent à être d'accord, c'est qu'il y a sans doute de bonnes raisons d'être d'accord, et nos sociétés sont basées sur le consensus (politique, économie, etc.). Mais à y voir de plus près, il y a bien une différence entre le fait d'être tous d'accord pour identifier une pomme au milieu de bananes, et être tous d'accord pour identifier un suspect qui n'a été aperçu que brièvement dans le noir.
Pour mettre en évidence ce paradoxe, les chercheurs ont donc élaboré des séances d'identification de suspects, et ont analysé dans quelles circonstances les témoins démasquaient les vrais coupables, ou se trompaient. Les chercheurs ont pu démontrer, mathématiquement, que la probabilité d'identifier le vrai coupable était la plus forte lorsque 75% des témoins étaient d'accord, mais qu'au delà, en se rapprochant de l'unanimité, le taux d'erreur d'identification augmentait fortement.
L'unanimité peut alors indiquer la présence de biais cognitifs ou sociaux qui mènent à une réponse unanime (un leader de parti qui impose une ligne politique à tous les membres du parti), ou alors un dispositif expérimental qui intègre lui même les biais amenant à une unanimité. Un cas célèbre concerne l'affaire du « Fantôme d'Heilbronn », affaire dans laquelle plusieurs crimes ont eu lieu de 1993 à 2008, et qui suggéraient étrangement l'implication d'une seule et même femme, dont l'ADN était découvert sur plusieurs scènes de crimes en Allemagne, Autriche et France. Les médias qualifiaient l'affaire de « plus grande énigme criminelle de l'Histoire », 300.000 euros était promis à ceux qui permettraient d'arrêter le fantôme... jusqu'au jour où l'on découvrit que l'ADN provenait des bâtonnets de prélèvement d'ADN, tous contaminés par la même personne à l'usine de fabrication de cotons tiges du sud de l'Allemagne.
Moralité : doute et diversité sont plus solides que certitude et uniformité !
Lorsqu'il est raisonnable de s'attendre à une variation naturelle des avis concernant un sujet (politique, justice, etc), l'unanimité peut cacher le paradoxe de l'unanimité.
L'unanimité ne serait alors pas un indice de vérité, mais l'indice de différents biais psychosociaux ayant mené à l'unanimité (soumission à l'autorité, influence de la pensée de groupe, etc).
S'il ne faut donc pas se méfier de la majorité, même importante, nous devrions être sceptiques face à l'unanimité.