L'étonnant écart de richesses et de technologies entre les sociétés a longtemps questionné : pourquoi est-ce l'Europe qui a colonisé l'Afrique et pas l'inverse? Pourquoi certaines sociétés utilisent le téléphone et pas d'autres ? Pendant longtemps la réponse était toute trouvée : une supposée supériorité psychologique et biologique des européens. Certains objectaient que si les européens étaient si puissants, ce serait juste parce-qu’ils ont inventé des armes puissantes, mais on aimerait savoir pourquoi ce sont les européens qui les ont inventé et non les aborigènes. Alors où est la réponse ? Elle est chez nos amis Maoris, voyageons...

Il était une fois … en Polynésie.

Les Maoris sont les descendants de polynésiens qui, au XIème siècle, ont colonisé la belle Nouvelle-Zélande. Vers le XIV ème siècle, une partie des Maoris a décidé de partir s'installer dans une île voisine qu'ils appelèrent Rekohu (si vous voulez aussi y aller, il s'agit des îles Chatham). Deux peuples différents ont donc émergé à partir d'un seul peuple : d'un côté les maoris, et de l'autre les habitants de Rekohu : devenus Morioris. Or, et c'est ce qui nous intéresse, ces deux populations ont énormément divergé à travers les siècles :
En 1830, les Maoris pratiquaient l'agriculture intensive, disposaient d'artisans, de soldats et de tout un système social auto-financé.
Les habitants de Rekohu semblaient en revanche avoir régressé, ils ne pratiquaient pas l'agriculture et étaient redevenus des chasseurs-cueilleurs. Leur système social n'était pas aussi complexe et ils ne développaient pas d'artisanat spécialisé.
En 1832, comme vous pouviez vous en douter, les puissants Maoris ont envahi et conquis l'île de Rekohu, entraînant la quasi disparition des Morioris.

Cette histoire, évoquée par le biologiste Jared Diamond, nous montre donc deux populations issues biologiquement d'un seul et même peuple, mais qui finissent par avoir des différences de développement significatives : on comprend donc que la théorie des différences raciales ne tient plus, Maoris et Morioris ont un autre secret !

Oui mais comment ça se passe ?

Zoom sur les particularités environnementales des îles dans lesquelles ces deux peuples vivaient.

L'île Rekohu des Morioris était nettement plus froide, de sorte que les graines apportées par les colons ne permirent pas d'amorcer une activité agricole. Par contre Rekohu était riche en nourritures naturelles telles que poissons, phoques et végétation : l'île les incitait à abandonner l'agriculture pour privilégier la chasse et la cueillette. Vu que la chasse ne permet pas d'obtenir d'importants stocks de nourriture car elle dépend de facteurs naturels, la majorité des habitants était constamment employée pour la chasse et la cueillette. Était alors instauré un contrôle des naissances (en castrant un certain nombre de garçons) pour ne jamais arriver à un stade où la chasse ne pouvait plus nourrir tout le monde, et le système politique s'est simplifié autour d'un chef héréditaire. Enfin, se sentant isolés sur leur île, les Morioris sont devenus pacifiques et n'ont pas formé de soldats.

A l'inverse, les Maoris bénéficiait d'un climat propice à l'agriculture intensive, ce qui leur a apporté des excédents de nourriture et la possibilité de domestiquer du bétail. Or si vous faites suffisamment de légumes pour nourrir vos voisins, vous leur permettez de faire autre chose, par exemple des outils qu'ils vous échangeront contre vos légumes : malin ! Les excédents de nourriture ont aussi permis d'augmenter la population, ce qui a ensuite rendu nécessaire un développement du système politique pour gérer une société plus nombreuse : le tour était joué, les Maoris se développaient plus rapidement que les Morioris.

Le secret n'est donc ni les préférences divines, ni la race ou l'intelligence, mais la division du travail rendue possible par l'agriculture, elle même rendue possible par les conditions environnementales. D'autres facteurs additionnels peuvent ensuite s'ajouter (comme la compétition puis la coopération entre des sociétés voisines) pour sans cesse creuser l'écart de développement technologique.

Les notions de progrès et de développement sont donc elles aussi à relativiser, car on comprend vite que les Morioris n'avaient absolument aucun intérêt à développer un artisanat coûteux en ressource si les conditions environnementales ne s'y prêtaient pas. La culture n'a donc pas pour vocation unique d'être toujours plus performante et croissante, et parfois, renoncer au « progrès » peut même être le plus grand des progrès (au moins jusqu'à l'invasion étrangère).
Comme le disait Claude Lévi-Strauss : « Le barbare, c'est celui qui croit à la barbarie ».

Des différences significatives en développement technologiques et matériels existent entre les sociétés humaines.
Ces différences ont souvent été expliquées par des explications ethnocentrées, religieuses ou biologiques.
La division du travail rendue possible par le développement de l'agriculture semble pourtant être le moteur décisif du développement technique des sociétés.